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Au cœur d’un pillage : comment les minerais congolais nourrissent une machine de guerre et enrichissent Kigali

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Un pillage d’une ampleur sans précédent secoue l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Selon un rapport explosif des Nations unies relayé par Bloomberg le 2 juillet, des quantités massives de minerais — notamment le coltan, essentiel à l’industrie high-tech mondiale — sont extraites clandestinement de régions sous contrôle rebelle avant de transiter par le Rwanda. Résultat : Kigali voit ses exportations de minerais atteindre des sommets, pendant que le conflit congolais s’enlise, alimenté par ces richesses détournées.

« Nous parlons de dizaines de milliers de tonnes de minerais sortis de RDC par des voies non officielles et enregistrés comme production rwandaise », déclare un diplomate onusien, sous couvert d’anonymat.

M23 : la clé du trafic

Au cœur de ce commerce illicite se trouve le M23, un groupe rebelle congolais soupçonné de liens étroits avec le Rwanda. Contrôlant d’importantes zones minières comme Rubaya, le mouvement a instauré un système rigoureux de taxation, générant jusqu’à 800 000 dollars US par mois rien que sur le coltan.

« Le M23 a même instauré un “ministère des Mines” dans les zones sous son contrôle, percevant des droits sur chaque kilo de minerai extrait », explique un membre de la société civile de Goma.

Les minerais sont ensuite acheminés vers le Rwanda, où ils sont mélangés à la production locale avant d’être exportés, principalement vers l’Europe, la Chine et les États-Unis. Kigali rejette ces accusations, dénonçant des « spéculations infondées » et défendant sa politique de lutte contre le commerce illégal.

Des chiffres qui font douter

Ce qui intrigue particulièrement les analystes, ce sont les chiffres officiels du commerce rwandais. Entre 2023 et 2025, le Rwanda a exporté près d’un milliard de dollars US de minerais, alors que ses réserves nationales sont jugées trop modestes pour expliquer de tels volumes. Pour beaucoup, cette envolée des exportations est la preuve d’un blanchiment systématique de minerais congolais.

Une enquête de l’ONG Global Witness révèle que la société luxembourgeoise Traxys a acheté en 2024 environ 280 tonnes de coltan “rwandais”, dont une part importante pourrait provenir des mines sous influence du M23.

« Il y a un écart énorme entre la production officielle du Rwanda et ce qu’il déclare exporter. Ce n’est mathématiquement pas tenable sans une origine congolaise », estime un analyste du think tank Cedesa.

Des minerais critiques… et sanglants

Le problème dépasse largement les frontières régionales. Le tantale extrait du coltan est devenu indispensable à la fabrication de smartphones, de batteries pour véhicules électriques ou encore de composants pour satellites. Malgré des dispositifs comme l’Initiative ITSCI ou la loi américaine Dodd-Frank visant à assurer des chaînes d’approvisionnement “sans conflit”, ces flux illégaux demeurent massifs.

« Les consommateurs ignorent souvent que leur téléphone contient des minerais tachés du sang des Congolais », déplore un militant des droits humains à Bukavu.

Ce trafic est bien plus qu’un simple commerce illégal : il finance l’achat d’armes, alimente les exactions contre les civils et entretient l’instabilité chronique qui ravage l’est de la RDC depuis des décennies. Plus de 5,8 millions de personnes y ont déjà été déplacées à cause des violences.

Pressions et dilemmes internationaux

La RDC estime perdre jusqu’à un milliard de dollars par an à cause de ce pillage. Kinshasa envisage même d’attaquer en justice certaines multinationales soupçonnées de fermer les yeux sur l’origine réelle des minerais qu’elles achètent. Mais la situation est éminemment géopolitique. Washington, inquiet de la domination chinoise sur les minerais stratégiques, multiplie les efforts diplomatiques pour stabiliser la région, tout en ménageant Kigali, considéré comme un partenaire clé dans la lutte contre les rebelles rwandais du Fdlr basés en RDC.

« L’Occident est pris dans un dilemme : sécuriser ses approvisionnements ou condamner fermement un allié comme le Rwanda », analyse un diplomate basé à Nairobi.

Une tragédie invisible

Cette crise met en lumière un paradoxe cruel : alors que le monde accélère vers la transition énergétique, la soif de minerais dits “verts” risque d’aggraver les conflits sanglants et d’alimenter des réseaux mafieux. Pour la RDC, il y a urgence à stopper l’hémorragie économique qui finance sa propre instabilité. Pour la communauté internationale, le défi est immense : assainir un commerce mondial où chaque gramme de coltan cache, parfois, une tragédie humaine.

« Si rien ne change, le téléphone que vous tenez dans la main continuera de financer des armes, et d’alimenter des larmes », conclut un activiste congolais.

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