La production halieutique a sensiblement diminué sur le lac Édouard, en province du Nord-Kivu. À la pêcherie de Kyavinyonge, la production de poissons est passée de 15 à 8 tonnes par an, selon les statistiques du service de cette pêcherie du territoire de Beni. Les autorités locales et la société civile attribuent cette situation à l’insécurité grandissante, entretenue par les groupes armés et la pêche clandestine.
Chaque matin, les habitants se rendent au débarcadère dans l’attente des pêcheurs partis récupérer leurs filets, placés la nuit pour piéger les poissons.
Kyavinyonge est l’une des trois pêcheries officielles du lac Édouard. Située en territoire de Beni, cette pêcherie reste la plus sûre en termes de sécurité, car celles de Vitshumbi (territoire de Rutshuru) et de Nyakakoma (territoire de Lubero) restent sous l’emprise, d’une part, des milices armées comme les Maï-Maï (connus sous le nom de Wazalendo) et, d’autre part, du M23.
Ces groupes armés s’adonnent à la pêche clandestine et leurs activités sont à la base de la baisse de la production de poissons, sans respect des normes de la pêche.
« La guerre handicape la pêche sur le lac Édouard. Avec les armes, les pêcheurs clandestins progressent vers les frayères. Les statistiques sont en baisse. Auparavant, on atteignait même 15 tonnes par an, mais aujourd’hui, on a du mal à réaliser 8 tonnes. Et ça va continuer parce qu’il y a tant de désordre sur le lac Édouard », a indiqué l’ingénieur N’simba Kasongo, officier de pêche à la pêcherie de Kyavinyonge.
L’officier de pêche de Kyavinyonge, qui dénonce également le conflit de compétences et la politisation des services opérant à cette pêcherie, appelle au respect des règles de la pêche et encourage le gouvernement congolais à récupérer le contrôle du lac Édouard pour relancer le secteur halieutique.
Conflit de frontière liquide avec l’Ouganda
Le lac Édouard est le 15ème plus grand lac d’Afrique. Il se situe dans la vallée du Grand Rift, à la frontière entre la République démocratique du Congo, qui possède environ 71 % de sa superficie, et l’Ouganda, qui en possède environ 29 %.
Mais la frontière liquide entre ces deux pays n’est pas clairement définie et reste au cœur d’un conflit de longue date.
Les pêcheurs congolais sont souvent victimes d’arrestations par l’armée marine ougandaise sur le lac Édouard, une situation qui revient régulièrement. Bien que la fréquence des arrestations diminue, les pêcheurs congolais déplorent que leurs biens soient encore détenus par la force navale ougandaise.
Plus de 260 moteurs hors-bord, 37 pirogues et plusieurs biens de pêche n’ont pas encore été restitués par les Ougandais. Certains pêcheurs ont été arrêtés sans défense sur les eaux congolaises, en violation de la frontière liquide par l’armée ougandaise.
« Nous avons un total de 261 moteurs hors-bord saisis en Ouganda. 37 pirogues, des filets et d’autres matériels de pêche sont encore confisqués. Les gens sont souvent arrêtés sous trois volets : ceux qui violent la frontière liquide, parfois les Ougandais qui violent notre frontière pour arrêter les pêcheurs ici. Mais aujourd’hui, les arrestations sont devenues un fonds de commerce », se lamente Mbusa Katsali Kalumbi, représentant des pêcheries individuelles à Kyavinyonge.
Du business au désavantage des Congolais
C’est du pur business, les arrestations actuelles des pêcheurs congolais, soutient l’officier de pêche. N’simba Kasongo pense que certains pêcheurs congolais se retrouvent souvent sur les eaux ougandaises à la recherche de poissons, devenus rares en RDC. Il plaide pour une bonne collaboration entre les services marins des deux pays.
« Ça devient du business. On ne peut plus qualifier ça d’arrestations pour pêche illégale. Quand ils [les services marins ougandais] libèrent cinq pêcheurs aujourd’hui, demain ils vont en attraper dix. Quand ils en libèrent dix, demain ils en attrapent quinze, et ainsi de suite. Pour nous, ça devient une affaire. Il est certes vrai que parfois nos pêcheurs se retrouvent sur les eaux ougandaises par manque de poissons. Vous savez qu’il n’y a pas de balisage [frontière liquide]. Mais en vérité, les pêcheurs ougandais traversent pour venir sur nos eaux et arrêter injustement les pêcheurs », soutient l’officier de pêche.
Delphin Mupanda / MCP, Nord-Kivu